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CHINE : Entre innovation technologique et surveillance institutionnalisée

Jusqu’alors considérée comme l’usine du monde, la Chine cherche aujourd’hui à faire évoluer son statut et à se débarrasser de son image de « championne » de la contrefaçon.


Mais la Chine a-t-elle réellement les moyens de devenir le laboratoire du monde ?


Ces dernières années, la Chine s’emploie activement à combler son retard en matière de recherche et développement (ci après « R&D »). Xi Jinping, potentiel chef d’Etat à vie, semblait, durant le 19ème congrès du parti communiste, confirmer cette orientation avec une politique préférentielle du gouvernement en faveur des entreprises chinoises. Le soutien gouvernemental, notamment par des services financiers, des subventions et un accès facilité au marché, constituent des avantages conséquents pour les innovateurs de Chine.


Or, parallèlement, la Chine accroît depuis de nombreuses années et de façon constante ses dépenses en matière de R&D. Elles atteignaient, il y a peu, un niveau équivalent à celui des dépenses de l’Union européenne et selon certains experts pourraient atteindre le montant des dépenses en R&D des Etats-Unis d’Amérique (« USA ») d’ici 2019 ou 2020. Ainsi, l’Asie tend à devenir de façon durable un élément moteur de l’innovation. En effet, on constate qu’entre 2010 et 2015, la part de l’Asie (Chine en tête avec l’Inde, le Japon et la Corée du Sud) dans les dépenses mondiales de R&D est passée de 25% à plus de 40%. Parallèlement, les USA sont passés de 40% à 28% et l’Europe de 27% à 22%.


Mais la Chine ne se contente pas de rattraper son retard : elle se positionne d’hors et déjà comme le leader mondial dans certains domaines comme en matière de brevets. En effet, depuis 2011, elle dépose plus de brevets que les USA. Par exemple, en 2016, d’après les données de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), 3,1 millions de brevets étaient déposés soit une hausse de plus de 8% vis à vis de l’année précédente. Or la Chine représentait à elle seule 98% de cette croissance, avec 1,3 millions de brevets déposés à l’Office d’Etat de la propriété intellectuelle de la Chine (SIPO) pour « seulement » 605 571 pour l’Office des brevets et des marques des USA (USPTO). Loin derrière, l’OEB, l’Office européenne des brevets n’enregistrait que 159 358 demandes.


« La Chine fait de plus en plus partie des leaders dans l’innovation mondiale » Francis Gurry, directeur général de l’OMPI


« L’empire du Milieu » semble donc vouloir consolider sa position en matière d’innovation et surtout en matière d’utilisation par les autorités de ces innovations. Mais quelles difficultés pose l’utilisation de ces nouvelles technologies ?


Nous aborderons ici quelques innovations pour lesquelles la Chine semble se placer à l’avant garde mais qui peuvent, selon un certain nombre d’experts, générer quelques inquiétudes, et notamment sur la façon dont ces innovations risquent de s’exporter dans le reste du monde.



Reconnaissance faciale et contrôle des populations :


Ainsi, la Chine est en passe de devenir leader dans certains domaines porteurs comme la video-surveillance ou la reconnaissance faciale. En effet, elle met en place un réseau de caméras de surveillance visant à devenir l’un des plus -si ce n’est le plus- sophistiqué du monde. En l’absence de réelle opposition, quelques 170 millions de caméras ont déjà été installées et plus de 600 millions seront mises en places d’ici 2020.


Or, un certain nombre d’entre elles seront (et sont déjà) équipées d’un système de reconnaissance faciale intégré. Ce réseau permet un contrôle renforcé des populations tant dans les rues que par exemple dans les universités ou autres lieux publics.


Mais la reconnaissance faciale ne se limite pas à la seule surveillance. Là ou Facebook démocratise cette fonctionnalité pour reconnaitre ses utilisateurs sur les photos de leurs contacts, et ou certaines marques de smartphones l’utilisent comme option de déverrouillage de leurs appareils, la Chine l’étend aux systèmes de paiement. En effet, la China Construction Bank, l’une des banques d’Etat, permet de retirer de l’argent par reconnaissance faciale. Certains restaurants, comme par exemple un restaurant KFC dans la ville d’Hangzhou, proposent même un paiement des commandes par reconnaissance faciale. C’est également la direction prise par certains sites internet de commerce en ligne (Alibaba, géant chinois qui a déjà massivement investi dans la reconnaissance faciale ces dernières années).



Un système de notation des citoyens opérationnel :


Dans un tout autre domaine, certains réalisateurs l’avaient imaginé (série « Black mirror »), la Chine l’a fait. Depuis le 1er mai 2018, elle a mis en place un système opérationnel d’évaluation des citoyens. Ce système, en préparation depuis 2014, était à l’origine prévu pour 2020. Le principe est simple : des données sont collectées sur chaque citoyen chinois et une note est attribuée en fonction de certains critères. Les « bons » citoyens sont alors en mesure d’obtenir des avantages comme une meilleure visibilité sur les sites de rencontre, une réduction de certaines de leurs factures, ou encore l’accès à des produits de qualité. Les « mauvais » citoyens sont quant à eux dans l’impossibilité d’aller dans certains hôtels, de postuler à des offres d’emploi dans le service public, d’inscrire leurs enfants dans les meilleurs écoles ou encore de voyager librement. Ainsi, selon The Global Times, plus de 11,4 millions de billets d’avion et 4,3 millions de billets de train ont déjà été refusés à de « mauvais » citoyens chinois.


Mais sur quels critères une telle note est-elle attribuée ? Et comment les données sont-elles collectées ?


Ce système utilise des données collectées sur un certain nombre de sites et d’applications, par le truchement des plateformes de paiement en ligne, sites de rencontre, données des tribunaux, banques, polices, impôts et des employés. La note de chaque citoyen dépend donc de l’existence ou non d’infractions, de condamnations ou d’incivilités, mais également de ses fréquentations et amitiés, ainsi que de ses opinions politiques. L’apologie du gouvernement chinois ou de sa politique permettent ainsi par exemple au citoyen d’améliorer sa note mais, a contrario, la fréquentation de certains opposants ou de personnes mal notées fera chuter cette note.

Selon le gouvernement chinois, ce système sera totalement opérationnel à compter de 2020.



Vers une surveillance du cerveau des employés ?


Certaines entreprises chinoises vont encore plus loin en menant des tests sur les cerveaux de leurs employés. Les employés portent ainsi des casques analysant l’activité cérébrale (ondes cérébrales). Après analyse, ces données permettent de détecter certains pics émotionnels, fatigue, colère, anxiété ou encore dépression. Ce système permettrait de repérer le personnel « à risque » et de placer à des postes clefs des employés considérés comme fiables en vue d’augmenter la productivité. Certes, aujourd’hui, les informations dont nous disposons se limitent aux affirmations des sociétés procédant à ces tests et les experts estiment la fiabilité de ces dispositifs d’électroencéphalographie à seulement 60%, cependant, en cas d’efficacité vérifiée, les applications seraient multiples.



Or, qui peut aujourd’hui prétendre que la combinaison d’un réseau particulièrement étendu de caméras de surveillance combiné au développement de logiciels de reconnaissance faciale, le tout sur fond d’évaluation permanente de la population grâce aux données collectées sans encadrement, ne va pas nécessairement avoir des conséquences sur certains droits déjà moribonds des citoyens chinois ? Quelles sont les implications dans un pays qui n’est pas un Etat de droit mais bien un Etat policier qui impose déjà depuis plusieurs années un contrôle et une censure stricte d’internet via son « Grand Firewall » ?


Certes la Chine est loin d’être le seul Etat qui cherche à résoudre ses problèmes de société grâce aux nouvelles technologies, mais elle semble avoir l’ambition aujourd’hui de se placer à l’avant garde de l’innovation technologique et notamment de l’utilisation de cette innovation en matière de contrôle de sa population.


Des questions se posent alors : comment l’Europe peut-elle se placer à son tour en élément moteur de l’innovation et envisager le développement et l’utilisation de ces nouvelles technologies sans heurter les libertés individuelles établies et protégées ? Serait-il judicieux de rejeter en bloc un système en apparence liberticide notamment en matière de collecte des données et d’utilisation de celles-ci ? L’Europe peut-elle réellement empêcher le recours, de plus en plus prisé, à la reconnaissance faciale (par le biais de caméras de surveillance) dans les rues de ses villes ? Peut-on aujourd’hui garantir qu’un système de notation de nos concitoyens ne verra jamais le jour dans les pays occidentaux quand bien même de tels systèmes (au stade embryonnaire) prolifèrent déjà sur les réseaux sociaux ? Et si une telle « évolution » s’avérait inévitable, avons-nous mis en place au niveau européen les outils légaux indispensables à leur encadrement ?


Certes l’Union européenne réagit. Le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données), effectif depuis peu, en atteste. Mais est-ce suffisant ? Ce qui semble certain, c’est que l’Europe doit continuer à s’adapter afin ne pas laisser toute latitude à la Chine pour fixer (aux côtés des USA) les nouvelles tendances technologiques. Il lui incombe donc de pousser ses entreprises à innover en investissant de façon massive dans les nouvelles technologies et à trouver un équilibre entre la tendance actuelle de surveillance et de contrôle des populations comme solution aux problèmes de société, tout en restant respectueuse des droits acquis par les citoyens européens. Il semble y avoir urgence.



Par Pablo Jousselme

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