L’industrie du jeu vidéo est aujourd’hui la première industrie culturelle au monde. Elle générait, pour l’année 2017, 4,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 3,6 milliards en 2016 (soit une hausse de 18%) pour « seulement » 2,5 milliards en 2012.
L’eSport, composante compétitive de cette industrie, cherche donc à prendre sa place sur la scène de la compétition sportive mondiale. Et quelle meilleure place en termes de reconnaissance et de prestige que celle qu’offre les Jeux Olympiques ?
Cependant, il convient de s’attarder sur les problématiques d’une telle intégration, celles qui sont en passe d’être résolues comme celles qui se présentent encore aujourd’hui.
L’eSport est-il un sport ?
Depuis son apparition, l’eSport interroge. De nombreuses questions se sont posées, notamment concernant sa possible qualification de « sport ». Il convenait alors de dégager les caractéristiques intrinsèques du sport et de l’eSport afin de déterminer si elles étaient compatibles. Ainsi, l’effort physique est-il une composante indispensable pour qu’une activité puisse être considérée comme un sport ? Du fait de cette absence d’effort physique, l’eSport est il mauvais pour la santé ? En définitive, la principale problématique était de savoir si l’eSport représentait un réel risque pour le sport.
Aujourd’hui, ces problématiques semblent derrière nous. En effet, les Jeux Olympiques se sont déjà ouverts à des activités nécessitant un effort physique très faible (sport plus techniques, par exemple de précisions tels que les sports de tirs etc.). De plus, l’incompatibilité supposée de valeurs qui justifiait ces dernières années une certaine réticence semble avoir été levée. La principale raison parait évidente : l’eSport n’est plus une niche concernant quelques adolescents se regroupant en marge de la société. L’eSport a aujourd’hui trop d’ampleur pour être ignoré et les organisateurs de grands évènements sportifs en prennent conscience. L’intégration parait en bonne voie. Le but est ainsi de rajeunir l’audience, en profitant de cette nouvelle manne financière en pleine expansion et de permettre aux Jeux Olympiques de se développer en Asie.
La réelle distinction avec le sport semble donc résider ailleurs. De notre point de vue, l’une des principales problématiques réside dans le fait que ce n’est pas une pratique « gratuite » car elle dépend du développement de jeux souvent payants, qui restent la propriété d’éditeurs. Se pose donc nécessairement la difficulté de la propriété intellectuelle si ces compétitions venaient à être présentées aux Jeux Olympiques.
Une autre des difficultés réside dans le fait qu’il n’existe pas, pour l’eSport, aujourd’hui, de réel interlocuteur unique, de représentation homogène à qui s’adresser. C’est un élément et un cadre juridique qui reste à dessiner et à préciser, notamment via le développement des fédérations nationales et internationales existantes. Patrick Baumann, président de l’association des fédérations internationales et membre du Comité International Olympique (ci-après « CIO »), soulignait cette problématique en énonçant qu’il restait difficile de discerner clairement les acteurs et le cadre de l’eSport. Pour lui, l’existence d’une organisation garantissant la conformité aux règlementations du Mouvement Olympique (antidopage, paris…) était un pré-requis indispensable. Il ajoutait il y a quelques mois, pour tempérer l’intégration de l’eSport aux Jeux Olympiques, « Encore faut-il que le mouvement eSport comprenne comment fonctionne le mouvement Olympique ».
Le rejet des « jeux violents » par le CIO
Or, à peine quelques mois après la création d’un groupe de travail réunissant les représentants de la famille olympique et de l'eSport, le CIO impose une nouvelle limite à l’intégration de compétitions d’eSport aux Jeux Olympiques. Cette problématique déjà ancienne resurgit brutalement suite à une nouvelle tuerie aux Etats-Unis d’Amérique, à Jacksonville en Floride, dans le cadre d’une compétition d’eSport.
Le Président du CIO, Thomas Bach, énonçait en réaction à cet évènement : « Nous ne pouvons avoir au programme olympique un jeu qui promeut la violence ou la discrimination, ce qu’on appelle les killer games. De notre point de vue, ils sont contraires aux valeurs olympiques et ne peuvent donc pas être acceptés ».
L’ancien champion d’escrime ajoute « Bien entendu, tous les sports de combat ont pour origine des affrontements réels entre les gens. Mais le sport est l’expression civilisée de cela. Les jeux dans lesquels le but est de tuer quelqu’un ne peuvent s’accorder avec nos valeurs olympiques ».
Ces propos vont dans le sens de ceux de Zhang Dazhong, président d’Alisports (filiale du géant chinois Alibaba et partenaire du Conseil Olympique d’Asie) qui prône un recentrage sur les jeux vidéos de sport, quitte à écarter le déjà célèbre Arena of Valor (très populaire en Chine).
Cette déclaration interroge, mais ne représente pas une surprise ni une réelle remise en cause de l’avancée du dossier de l’intégration de l’eSport aux Jeux Olympiques. Il semble s’agir là tout au plus d’un recadrage. La présence de l’eSport durant l’olympiade parisienne, hors programme, reste d’ailleurs à l’étude. Elle se ferait a priori sur un modèle similaire que l’organisation par Intel à PyeongChang du tournoi de Starcraft II en amont de l’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver.
En Asie, l’eSport a figuré pour la première fois en sport de démonstration aux Jeux Asiatiques de 2018 qui ont eu lieu en Indonésie. Six jeux différents étaient présents (League of Legends, ci-après « LOL », Starcraft II, Arena of Valor pour la stratégie, Heartstone et Clash Royale pour les jeux de carte et Pro Evolution Soccer pour le football). L’eSport sera ainsi une discipline officielle aux jeux asiatiques de 2022. Or, si aucun de ces jeux ne mettait en scène de violence « réaliste » peut-on pour autant prétendre qu’ils soient dénués de toute violence ?
Les « jeux violents » tels que présentés par Thomas Bach restent une catégorie très imprécise. La violence se caractérise-t-elle juste par son réalisme ? Quelle violence est proscrite ?
De nombreux médias hésitent déjà à diffuser des compétitions de jeux considérés comme violents et réalistes (Counter Strike ou Rainbow Six Siège) du fait du contexte troublé (attaques terroristes, tueries dans les écoles ou compétition de jeux vidéos).
Encore faut il définir le jeu dit « violent » (hors du cadre du PEGI 18). Se caractérise-t-il par l’utilisation d’armes à feu, par la présence ou non de sang, et la présence de la notion de mort (capacité de tuer et d’être tué) ? Dans ce cas on peut se demander s'il est essentiel que cette mort soit réaliste. Il conviendra également de prendre en compte la capacité de « respawn » du joueur (auquel cas cette « mort » ne s’apparentant qu’à une « incapacité temporaire »). Quid des explosions et attaques chimiques dans LOL ? De trop nombreuses questions qui restent à l’heure actuelle sans réponse.
En conclusion on peut déplorer que loin de résoudre une difficulté en posant un cadre précis et clair de l’eSport aux Jeux Olympiques (par exemple en interdisant les jeux PEGI 18), Thomas Bach se contente de rejeter une « catégorie » de jeux très hétérogènes, sans précisions supplémentaires, laissant les éditeurs de jeux, les compétiteurs et les potentiels spectateurs de telles compétitions dans l’incertitude.
Une compréhension des règles difficile
Une autre problématique importante qui se pose est la compréhension des règles des différents jeux. En effet, certains jeux sont difficilement accessibles pour les non initiés. On pensera par exemple à LOL qui propose une variété importante de héros, sorts, équipements et en définitives stratégies, le tout dans son jargon particulier.
Il faudra alors, pour les éditeurs de jeux, s’adapter pour proposer des jeux plus « simples » et moins violents qui puissent toucher et convenir à un public plus large, toutefois avec le risque de voir les compétitions liées à ces jeux perdre une partie non négligeable de leur intérêt.
Par Pablo Jousselme
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