Les loot-boxes : des caisses à butins qui inquiètent
- TechnoLawGies
- 19 avr. 2018
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 avr. 2018
Les loot-boxes sont aujourd’hui présentes dans la plupart de nos jeux, et sous bien diverses formes : toutes plateformes confondues, jeux smartphones, consoles ou ordinateurs. Mais quelle réalité se cache derrière ces avantages payants non régulés, quels sont les dangers pour un public non averti et quelle est la réponse juridique apportée ?
Les loot-boxes, ou « coffres à butin » sont des coffres virtuels, souvent payants, contenant un ou plusieurs objets déterminés aléatoirement, offrant aux joueurs de larges éventails d’améliorations, allant de la simple personnalisation du personnage ou véhicule à des atouts plus « conséquents », et parfois même des fonctionnalités inédites (la nature de cet avantage étant imprévisible et aléatoire).

Cette stratégie commerciale pensée à l’origine pour les jeux vidéos « free to play » (et notamment les jeux mobiles), c’est à dire gratuits et libre d’accès, fut grandement critiquée par la communauté des joueurs car conçue pour générer de la frustration et pousser le joueur à consommer toujours plus de loot-boxes en vue d’accélérer sa progression. Apparaissaient alors les dérives dites « free to play » mais « pay to win », c’est à dire que pour être compétitif, le joueur doit régulièrement consommer ces loot-boxes.
Or ces loot-boxes se sont rapidement démocratisés dans l’univers des jeux vidéos payants, notamment pour compenser un essor considérable des coûts de production ces vingt dernières années. Fin 2017, la polémique autours de la sortie de « Starwars Battlefront 2 » fait prendre conscience à de nombreux Etats l’étendue du problème. En effet, EA, développeur du jeu, avait poussé le modèle économique des loot-boxes à son paroxysme. Le joueur devait faire le choix de passer 4528 heures devant son écran pour débloquer l’ensemble du contenu du jeu, ou acheter des loot-boxes en quantités (pour un montant estimé supérieur à deux mille dollars alors que le jeu coûte à l’origine 60 euros).

Le monde du jeu vidéo semble donc avoir évolué, en ce que le jeu n’est plus un simple produit, mais devient bel et bien un service, dont le coût évolue en fonction des envies et des moyens des joueurs. Or contrairement aux jeux de hasard (que ce soit sur internet via les sites de jeux de hasard en ligne ou directement dans les casinos) qui sont encadrés par des réglementations bien établies, ces loot-boxes ne font l’objet d’aucun contrôle, quand bien même le public ciblé serait celui consommant des jeux vidéos, à savoir une population certes vieillissante mais qui reste en grande majorité relativement jeune (12 - 25 ans).
La question se pose alors : Comment réguler ces loot-boxes, véritables « jeux de hasard » camouflés pour certains, mais bien présents dans grand nombre des jeux vidéos ?
Plusieurs autorités, et notamment les autorités belges et allemandes, ont ouvert des enquêtes en vue de déterminer si les loot-boxes devaient être considérées comme une nouvelle forme de jeu de hasard. Le ministre de la justice belge, Koen Geens, affirmait fin 2017 que « le mélange entre jeux de hasard et jeux vidéo, surtout à un jeune âge, peut être dangereux pour la santé mentale d’un enfant ». Quelques jours après l’ouverture de l’enquête ce dernier avait assuré travailler à l’interdiction de ces loot-boxes en Belgique et souhaitait étendre cette interdiction à toute l’Europe.
Outre Atlantique, l’élu démocrate de Hawaii, Chris Lee, à l’origine d’une proposition de loi visant à encadrer juridiquement les loot-boxes, avait estimé que Star Wars Battlefront 2 était « un casino en ligne avec un décor Star Wars ».
L’ESRB, l’association représentant les éditeurs de jeux vidéo estime quant à elle que les loot-boxes ne sont pas comparables aux jeux de casino car le consommateur obtient toujours quelque chose contre son argent, même si cela ne correspond pas exactement à ce qu’il désire.
En France, l’Arjel (l’Autorité française de régulation des jeux en ligne) a été interpellé par le sénateur Jérôme Durain et saisie par l’UFC-Que choisir sur cette question. Contrairement à l’ESRB, l’UFC-Que choisir estime en effet que le caractère aléatoire du gain, l’aspect quasi-indispensable des loot-boxes pour progresser dans le jeu ainsi que la possibilité sur certains jeux de revendre les objets obtenus contre de l’argent réel (par exemple sur Counter Strike : Global Offensive), sont de nature à justifier que les loot-boxes soient considérés comme des jeux d’argents et régulés en conséquence.

Ainsi l'Arjel rejoint sur un certain nombre de points l’UFC-Que choisir et évoque dans sa réponse la nécessité de rendre accessible aux joueurs le règlement de jeu ainsi que les tableaux des gains associés aux loot-boxes, et propose une réflexion avec la DGCCRF afin d'en établir les modalités éventuelles. Charles Coppolani, Président de l’Arjel, souligne tout de même à cette occasion qu’une régulation à court terme sur le modèle de l’Arjel est peu envisageable.
Aux Pays-Bas en revanche, suite à l'enquête débutée fin 2017, l'Autorité des jeux a jugé qu'un certain nombre de loot-boxes (4 sur les 10 examinées) étaient bel et bien en violation avec la loi néerlandaise sur les jeux et les paris. Elle a appelé les fournisseurs à adapter leurs jeux en conséquence. L'Autorité prendra des mesures contre les développeurs et fournisseurs de jeux contenant des boîtes de butin qui ne seront pas conformes à cette norme en juin 2018.
Simple service pour lequel il convient d’imposer une information renforcée du consommateur ou véritable jeu de hasard qu’il faut réguler, aujourd’hui les loot-boxes interrogent. La polémique fait prendre conscience de la nécessité de transparence et de régulation de certaines nouvelles stratégies commerciales, notamment au regard de la dépendance qu’elles peuvent entrainer et à leurs similitudes avec les jeux de hasard. Des gouvernements se penchent sur la question, mais pour l’heure les réponses juridiques apportées divergent et la réponse de la France se fait attendre. Malgré les mea culpa et rétropédalages, cette polémique cristallise l’échec de l’autorégulation de cette industrie en pleine expansion. Pourtant cette même industrie se tourne déjà vers l’avenir et il apparait plus que jamais indispensable que les autorités anticipent de telles problématiques pour protéger et avertir le consommateur, notamment le consommateur vulnérable de par son jeune âge.
Par Pablo Jousselme
sources :
https://www.kansspelautoriteit.nl/nieuws/alle-nieuwsberichten/2018/april/artikel-0/
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